Luisita by Édouard Rod

Luisita by Édouard Rod

Auteur:Édouard Rod [Rod, Édouard]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Romans/Littérature vaudoise
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2017-01-26T05:00:00+00:00


IV

L’hiver commença. La neige descendit du Jura enchâssé dans sa gaine blanche, couvrit le sommet boisé des collines, puis les vignes endormies, les toits bas des villages, la plaine, les rives du lac. Et Luisita apprit à connaître le froid.

Elle restait une bonne petite fille : si son corps s’épanouissait comme un fruit mûr, son esprit ne dépassait point son âge, et ne comprenait presque rien au branle-bas qui se menait autour d’elle. Aussi jolie en hiver qu’en automne, elle n’était pas plus heureuse, dans ce milieu trop différent où le hasard l’avait apportée. Elle sentait peser sur elle la haine sournoise de sa cousine ; son oncle, qui tâchait pourtant de lui parler avec douceur, l’intimidait ; son cousin Pierre lui faisait peur, et aussi le régent, qu’elle évitait comme un pestiféré, et encore le fils du syndic, qu’elle trouvait partout sur son chemin, comme une ombre dont on ne peut se défaire, qui se tourne avec vous, s’allonge ou diminue sans vous quitter jamais. Ce gros garçon, d’aspect un peu niais, avec une épaisse tignasse couleur de chanvre, des joues roses comme des pommes d’api, de petits yeux éteints et clignotants, lui causait une appréhension constante : elle se disait que, si Pierre le découvrait un jour derrière ses jupons, ce serait une affaire bien plus sérieuse qu’avec le régent, à cause de l’inimitié des deux familles et de la puissance du syndic. Vraiment, elle n’avait que deux amis pour la consoler : Turc, le Saint-Bernard, auquel elle portait chaque jour sa pâtée, qui pleurait de joie en la voyant approcher, et le bon Gaspard, dont elle n’avait aucune méfiance. Celui-là ne cherchait querelle à personne, ne roulait pas en la regardant des yeux de bête féroce, et s’en allait son petit bonhomme de chemin, d’une humeur toujours égale, – un peu trop triste, seulement, comme s’il gardait pour lui seul un gros chagrin. Sans indiscrétion, sans maladresse, sans empressement excessif, il tâchait simplement de lui être agréable en toute occasion. Comme les autres, il se trouvait souvent, par hasard, auprès d’elle, mais toujours dans un moment opportun : pour la décharger d’un fardeau de linge les jours de lessive, ou pour porter son seillon plein quand elle venait de traire. Il rendait ces menus services sans avoir l’air d’y toucher, avec des mots gentils, en s’efforçant de lui parler des choses qui l’intéressaient : de son père, du pays de sa naissance, des souvenirs de là-bas. Les autres, quand ils l’interrogeaient, laissaient toujours percer leur curiosité plutôt malveillante ; aussi évitait-elle de leur répondre, si bien que le père Baudruz, les jours où il voulait rire, lui disait :

— Toi, tu veux nous faire croire que tu es tombée de la lune !

Avec Gaspard, au contraire, elle se montrait plus confiante : il put ainsi apercevoir, dans l’éloignement, dans l’inconnu, une enfance singulière, telle qu’on n’en voit pas dans nos pays, avec des revirements de fortune et des aventures comme il y en a dans les livres.



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